Rencontre
avec Ramzi Khaznadar
Directeur de la Stratégie et des Projets à la Direction Générale de la Stratégie, des Etablissements et des Entreprises publiques,
Ministère du Transport de Tunisie
Pouvez-vous nous parler un peu du Ministère du Transport ?
Le ministère est la structure administrative responsable des conditions de transport dans toute la Tunisie. Comme le dit l’article 1 du décret définissant les rôles et attributions du ministère, nous avons pour mission, je cite, « d’établir, maintenir et développer un système de transport global, intégré et coordonné qui contribue à promouvoir le développement économique et social durable et assure la satisfaction des besoins des personnes en transport dans les meilleures conditions possibles, notamment, en termes de sécurité, de sûreté, de coût, de qualité et de protection de l’environnement. »
Ce ministère est composé principalement de trois structures spécifiques à chaque mode (terrestre, maritime et aérien), qui veillent aux aspects techniques des réseaux, et sont chargées du suivi d’études précises. A cela s’ajoutent des directions plus horizontales qui coordonnent tout le secteur. C’est le cas de la DGSEEP, Direction Générale de la Stratégie, des Etablissements et des Entreprises Publiques. Elle est chargée de la tutelle des entreprises publiques à travers notamment les discussions budgétaires, l’élaboration des contrats programmes, statuts et autorisations de recrutements, ainsi que les nominations et le suivi des conseils d’Administration. Elle est aussi responsable de la planification du secteur des transports à travers l’élaboration et le suivi des Plans Quinquennaux de Développement Economique, le suivi du budget de l’Etat pour le Ministère, les grands projets de transport, les dossiers de coopération et les études stratégiques tels que les Plans Directeurs des Transports Régionaux et Nationaux.
Pour information, une nouvelle direction générale, responsable de la logistique et du transport multimodal, et ancien département de la DGSEEP, a été créée en 2014. On pourrait aussi parler de la Direction Générale du Développement Administratif, des Systèmes d’Informations et du Transport Intelligent, aussi très récente. Nous sommes en pleine évolution.
Et bien sûr, comme dans tous les ministères, nous avons aussi des structures pour les affaires juridiques, les affaires administratives et financières, l’inspection, les relations avec le citoyen, etc…
Qu’en est-il de votre poste ?
Je suis actuellement Directeur de la Stratégie et des Projets au sein de la DGSEEP. Je suis chargé de la planification de tous les modes de transports, ainsi que des travaux du Plan Quinquennal de Développement Economique pour le secteur. Je suis aussi les dossiers des grands projets et de recherche de financement en coordination avec le ministère de l’investissement.
Il faut savoir qu’il y a trois entités au sein de la DGSEEP : la direction des établissements et entreprises publiques pour les tutelles, la direction des études et de la prospection, et la direction de la stratégie et des projets, celle où je suis. Chaque entité a un rôle bien précis, mais nous travaillons tous ensemble, et il y a souvent des chevauchements dans notre organisation des activités. Nous veillons ensemble à mener à bien nos missions par le partage de l’information et la communication.
Vous occupez ce poste depuis longtemps ?
Je suis devenu directeur depuis 2011 suite à une note interne, bien que ma nomination officielle ne soit apparue qu’en 2014.
Et avant d’occuper ce poste, quel a été votre parcours ?
J’ai une formation d’ingénieur en statistiques et économies. J’ai fais mes études à l’Institut national des Statistiques Economie Appliquée (INSEA) à Rabat au Maroc. Puis après 6 mois de recherches, j’ai postulé à un concours lancé par le ministère du transport en 1997 qui cherchait deux ingénieurs. J’ai passé le concours et suis donc entré à la DGPE (ancien nom de la DGSEEP) en 1998 en tant qu’ingénieur travaux, puis j’ai été nommé chef de service en 2003.
Pourquoi avoir choisi le Maroc pour faire vos études ?
Ca n’avait pas marché en Tunisie. Grâce à une coopération Tunisie – Maroc, j’ai pu passer un concours National pour intégrer l’INSEA de Rabat (Institut National de Statistique et d’Economie Appliquée). J’ai fais partie des meilleurs candidats et ai pu décrocher une bourse d’étude de l’Etat Tunisien. C’était une véritable opportunité.
Et depuis vous êtes resté au ministère du transport ?
Oui. J’ai occupé le poste de chef de service pendant 5 ans, puis suis passé sous-directeur pendant 4 ans et enfin directeur depuis 3 ans.
Pour le passage de grade, j’ai suivi une formation continue d’un an afin obtenir le titre d’ingénieur principal en 2009 puis un concours interne sur dossier pour passer au grade d’ingénieur en chef en 2015.
Qu’est-ce qui vous a poussé à travailler dans le secteur du transport ?
Mon père travaillait à la SNTRI, je suis donc très familier avec le secteur des transports, et sensibilisé à cela. Mon orientation vers ce domaine s’est un peu fait naturellement. Et puis c’est un domaine passionnant. Il faut dire que les salaires ne sont pas très élevés dans l’Administration Publique, même à mon niveau de directeur.
Bon assez parlé de vous, parlons transport ! Quels sont les grands enjeux selon vous en Tunisie ?
D’abord les financements. C’est une contrainte pénible pour l’avancement des projets dans le contexte tunisien. Les projets de transports sont très gourmands en dépenses, et les financements sont souvent difficiles à rassembler.
Ensuite, l’organisation du secteur pose problème. Il y a beaucoup d’acteurs qui interviennent dans les projets, défendant leurs intérêts et créant trop souvent des problèmes structurels qui entravent l’avancement du travail. Le résultat est un retard très dur à rattraper, qui entraine le cercle vicieux suivant : le manque de décisions entraine une dégradation du service et des besoins en études supplémentaires. Or, ces études ne sont pas réalisées ce qui créé une absence de vision et ralentit encore plus les décisions. Il est urgent de sortir de ce cercle !
Par ailleurs, lorsqu’on regarde les programmes politiques et la législation adoptée au cours des dernières années, les orientations de l’Etat dans le domaine des transports sont en rupture nette avec le vécu du secteur. Ainsi : l’organisation des transports terrestres instituée par la loi d’avril 2004 n’est pas encore mise en œuvre ; la problématique du financement des transports urbains et régionaux reste irrésolue ; la demande de transport n’est pas correctement prise en charge ; les choix modaux des politiques publiques et la fiscalité du secteur manquent de cohérence. Tout ceci impose à la collectivité nationale des surcoûts au niveau économique, environnemental et social.
Ce constat remet à l’ordre du jour la nécessité impérieuse pour les Pouvoirs Publics de définir, formuler et mettre en œuvre des politiques de transport à moyen et long terme, permettant de doter le pays d’un système coordonné de transport. Ce système doit être en mesure de satisfaire les besoins des personnes, des entreprises et des organisations dans les meilleures conditions économiques et sociales possibles pour la collectivité nationale.
Bon, il y a tout de même des réformes efficaces qui ont abouti : la révision du cadre réglementaire pour les différents modes de transport ; la libéralisation progressive du secteur ; l’abolition du régime des dockers dans les ports ; la restructuration de quelques entreprises publiques ; la mise à niveau du secteur ; l’introduction des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication); l’amélioration de l’efficacité énergétique du secteur, etc…
Par ailleurs et compte tenu du contexte actuel de la Tunisie et des grands enjeux auquel le secteur doit faire face, d’autres réformes plus larges s’imposent, qui permettraient au transport de devenir un moteur de croissance et de création d’emploi.
Et les enjeux actuels ? On parle de quoi aujourd’hui ?
Aujourd’hui les sociétés de transport publiques et privées sont en déficit structurel chronique, et il est urgent de proposer un plan de sauvetage pour leur restructuration financière et sociale. Le service public est de mauvaise qualité et manque d’investissements. Il perd en attractivité et donc à nouveau en qualité, et ainsi de suite. Avec cette restructuration qui s’accompagnera par des contrats de performance et des obligations de bonne gouvernance de la part de ses sociétés, la qualité du service s’améliorera en conséquence.
Le déficit des sociétés s’explique par des problèmes de gouvernance important en termes de gestion financière et sociale. Je cite en exemple Tunis Air. La compagnie aérienne a aujourd’hui 8300 employé sur un parc de 30 avions, soit 300 employés par avion. Or les normes internationales à ce sujet oscillent entre 80 et 100 employés par avion. Il faut donc revoir nos effectifs ! Et cet exemple s’applique aux autres sociétés sous tutelle.
Il faudrait donc se concentrer sur une réorganisation du personnel des sociétés ?
Non, le problème est plus large. De simples assainissements financiers et sociaux sont des solutions sporadiques. Une restructuration de fond est nécessaire. Si on ne travaille pas sur le fond, on se retrouvera avec les mêmes problèmes dans 5 ans.
Car un autre enjeu est encore au dessus des sociétés de transports, et il concerne la planification des réseaux. Par exemple une harmonisation des plans directeurs entre les différents ministères et un meilleur suivi des projets est nécessaire. Les plans actuels souffrent de retards à cause notamment de ce manque de coordination.
Le projet du RFR est aussi le meilleur exemple de ces revirements. Les études de ce projet ont commencé depuis 2002, la construction de la 1ère tranche de 18.5 Km à démarré en 2010 et seulement 20% de la première tranche ont été réalisés en 6 ans de travaux, et des retards sont encore à prévoir.
Et comment voyez-vous vos prochaines années au milieu de tout cela ?
Cela fait presque 20 ans que je travaille au ministère, c’est beaucoup ! Je commence à réfléchir à changer d’activité, mais compte bien rester dans le secteur du transport qui me tient particulièrement à cœur. Je suis encore en début de réflexion là dessus.
Toujours en Tunisie ? Ou au Maroc ? Ou ailleurs ?
J’avais essayé de rester au Maroc à la fin de mes études, mais l’opportunité au Ministère du Transport est apparue et je suis revenu dans ma ville natale. Je suis originaire de La Marsa et très attaché à Tunis. Maintenant que j’y suis installé, je pense y rester encore un bon moment.
Interview réalisée le 12 avril 2016