Les villes du Moyen-Orient à l’aube d’un printemps durable – Compte-rendu du temps d’échange du 18 novembre 2015

Les villes du Moyen-Orient à l’aube d’un printemps durable –  Compte-rendu du temps d’échange  du 18 novembre 2015
Sara ABD ALLA
CODATU
Cooperation in Egypt and (Sustainable Urban Transport) Community of Practice Project Manager
Actualité CODATU Lundi 14 Décembre 2015

Dans
la perspective d’encourager les regards croisés entre le monde de l’entreprise et celui de la recherche, CODATU, en partenariat avec le CNAM Rhône-Alpes, organise des “Temps d’échanges”: deux heures de discussion à partir de 2-3 interventions d’experts ayant des activités professionnelles différentes mais sur une thématique commune.

Le Mercredi 18 Novembre 2015 dans les locaux du CNAM Rhône-Alpes à Lyon ce temps d’échanges s’intéressait au “transport urbain durable dans le Moyen Orient”. Nous vous proposons ici un compte-rendu de cette rencontre qui a été introduit par Olivier Marion, directeur du Cnam, et animée par Julien Allaire, délégué général de CODATU.

Le durable dans les villes du Moyen-Orient : changement de paradigme ou cache-misère ?

Eric Verdeil, chercheur CNRS rattaché au LATTS (Paris), a fait écho aux résultats d’un programme de recherche dirigé par Pierre-Arnaud Barthel et financé principalement par l’Agence universitaire de la francophonie intitulé “La ville durable au Sud de la Méditerranée” qui a abouti à la publication du dossier Villes arabes, villes durables? dans la revue Environnement urbain/Urban Environment. Les recherches réalisées se sont focalisées sur la mesure, les acteurs et les conséquences de la mobilisation du référentiel du développement urbain durable dans les politiques urbaines des pays du sud de la Méditerranée et du Moyen-Orient.

Les enjeux du développement durable au Moyen-Orient doivent nécessairement se lire en fonction de la situation géopolitique qui, dans la région, ne permet pas de définir des critères communs à toutes les villes. D’un côté, les pays pétroliers qui disposent de telles ressources financières que le signal-prix n’existe pas. Bien que des études disent qu’en 2050 les villes du Golfe ne seront plus vivables à cause des températures trop élevée, aujourd’hui les moyens de ces pays leur permettent de mieux engager le concept du “durable”. On voit ainsi émerger des projets pharaoniques dont la pérennité n’est pas certaine. La motivation de ces villes peut sembler se limiter à la volonté d’exister en tant que grandes métropoles du monde, voire simplement d’imiter les capitales des pays voisins.

De l’autre côté, dans les pays qui ne sont pas exportateurs de pétrole et plus peuplés, les problèmes se posent différemment. En Jordanie, en Égypte ou au Liban, l’amélioration des conditions de mobilité urbaine est une nécessité pour les habitants. Même si le développement d’infrastructures routières a été considéré comme la solution face aux problèmes de circulation, les autorités développent des projets de transport public avec une volonté de désengorger les rues, en s’inspirant de pratiques observées dans les pays les plus riches de la région.

Carte du transport de masse dans les villes du Moyen-Orient de plus de 600 000 habitants

Le métro de Riyad, un projet pharaonique au pays de l’Or Noir

Didier Boudon, directeur de projet chez Egis Rail (Lyon, Direction des études amonts et de l’innovation), pilote depuis 16 mois la mission d’Assistance à Maîtrise d’Ouvrage qu’Egis réalise -en collaboration avec Louis Berger International et un cabinet d’avocat- pour le compte de l’AOT de Riyad, dans le but de mettre en place les contrats d’exploitation et de maintenance du réseau de métro en construction. Il a présenté le projet du nouveau réseau de transport public qui émergera en même temps que le métro de Riyad.

La capitale saoudienne est une ville de 6 millions d’habitants environ avec un climat sec et chaud. Cette métropole a été urbanisée d’une manière très rapide en suivant les modèles américains. La ville s’est étalée dans la plaine et affiche une densité relativement faible (de l’ordre de 9 100 hab/km2). Les déplacements sont quasi exclusivement réalisés en voiture (notamment en taxi), ce qui se traduit par des embouteillages incessants. Outre les services organisés par les entreprises pour leurs employés, le transport public est quasiment inexistant.

Dans ce contexte, le Roi Abdallah a décidé en 2012 de doter Riyad d’un métro automatique. Il a prévu un budget de 23 milliards US$ pour un réseau constitué de 6 lignes et 85 stations qui totalisera une longueur de 176 km d’infrastructures. Les travaux ont été prévus pour une durée de 4 ans seulement pour se terminer en 2018. Par ailleurs, un réseau de bus permettra de faciliter l’accès aux stations sans avoir besoin de se déplacer à pied.

Ce réseau de métro qui comprend des tronçons au niveau du sol (30%), en tunnel (25%) et en viaduc (45%) sera doté de stations prestigieuses (“Iconic Stations”) dont le coût est de l’ordre de 1 milliard de dollars chacune. Objets architecturaux remarquables, ces stations devaient au départ dissocier les flux des trois classes prévues pour le métro: “first” (première classe), “single” (homme seul) et “family” (familles dont femmes et enfants), mais les autorités saoudiennes se sont ravisées face aux difficultés techniques…

Dans un pays où le prix du carburant est inférieur à 15 centimes d’euros par litre, on peut légitimement s’interroger sur “qui va utiliser ce métro ?” Il est prévu un usage maximum de 10 000 passagers par heure et par sens. Une fréquentation très faible par rapport à des métros ou RER de même gabarit (à Paris, on compte entre 60 et 100 000 passagers par heure et par sens). D’autres questions sont également en suspens, notamment la gouvernance et la gestion du réseau de transport public. Jusqu’à aujourd’hui le projet entier est géré par trois personnes au sein d’une toute nouvelle autorité organisatrice de transport.

Le transport artisanal à Amman (Jordanie) face au paradigme du développement durable, entre altérité et nécessité

Eliott Ducharme, assistant de projet à CODATU, vient de terminer un Master en politiques urbaines à l’Institut d’Urbanisme de Lyon. Ses travaux de Master ont porté sur la gestion des services urbains en Jordanie (eau et transports). Sa présentation a porté sur la place accordée aux micro-opérateurs de transport « artisanal » dans les politiques de mobilité durable mises en place par la municipalité d’Amman depuis les années 2000.

Pour répondre aux enjeux de déplacements dans la ville, la municipalité d’Amman (3 millions d’habitants) a lancé le chantier d’un réseau de BRT (Bus Rapid Transit) de 32 km. Ce projet largement inspiré du modèle des systèmes latino-américains s’inscrit dans une politique de gestion urbaine développée par la municipalité depuis les années 2000 qui se veut exemplaire à plusieurs égards :
– par une concentration des compétences sur son périmètre, la municipalité entend mener une réflexion globale sur la croissance et la mobilité urbaines ;
– par le recours à de nombreux experts internationaux, le benchmarking et la mobilisation du paradigme du développement durable, la municipalité entend promouvoir une image de capitale moderne et connectée.

Toutefois, le plan de déplacement mis en place par la municipalité insiste largement sur les modes de transport à haute capacité mais ne prend pas en compte les opérateurs du transport artisanal qui sont au mieux considérés comme un détail, au pire comme un secteur nuisible sans que beaucoup de réflexions ne soit portée sur leur intégration dans un système de mobilité. Pourtant le transport artisanal à Amman, constitué de micro-opérateurs (majoritairement un opérateur par véhicule), représente actuellement la majorité des déplacements en transport public. D’ailleurs, la grande souplesse de ce secteur lui permet de s’adapter facilement à l’explosion démographique que connaît la capitale depuis plus d’un demi-siècle, en grande partie du fait de l’accueil de réfugiés fuyant les conflits dans les pays voisins. Dans la phase de développement du réseau de BRT d’Amman, il devient donc crucial de considérer l’intégration et de la régulation des activités de ces opérateurs dans un système de mobilité est pourtant incontournable, même si elle est risquée sur le plan politique et nécessite potentiellement des concessions de la part des autorités.

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Les villes du Moyen-Orient développent des réseaux de transport collectif, en répondant à des objectifs différents. Certaines le font pour répondre aux enjeux d’accessibilité et d’amélioration de la qualité de vie de populations dans un contexte de croissance démographique très rapide. D’autres pour des questions de prestige afin de s’inscrire dans le réseau des villes globales. Espérons que ces deux raisons d’investir se recoupent afin de rendre les systèmes de mobilité de ces villes plus équitables.

Carte des villes du Moyen-Orient de plus de 750 000 habitants

Diagramme de densité des villes du Moyen-Orient de plus de 600 000 habitants